Faits, perspectives, orientations : La (post) vérité n’existe pas
Cette présentation proposera de prendre envers les notions de post-vérité et de fake news la distance de trois décadrages. D’une part, les faits sont toujours des facta : même lorsqu’ils correspondent à une réalité attestée, ils ont été constitués comme « faits » par des dispositifs technico-idéologiques (de même que les data sont toujours des capta). Ensuite, les faits sont toujours vu à partir d’un nombre limité de points de vue : c’est la perspective dans laquelle on les voit/place qui leur donne une partie de leur signification. Enfin, la perspective elle-même ne peut conférer du sens qu’à partir d’orientationsgénérales (idéologies), structuratrices de valorisations qui sont toujours culturelles. Il résulte de ces décadrages que « la » vérité au singulier n’a jamais existé parmi les humains, et que la post-vérité est un faux problème, le vrai écueil sur lequel butent nos systèmes (mal-nommés) d’« information » étant avant tout celui de la pertinence. En revanche, les mutations du paradigme indiciaire (avec l’avènement des « deep fake »), la fluidification des reconnaissances d’autorité, et la capacité à assurer des chaines de référentialité fiables sont bel et bien des questions cruciales pour essayer de moins mal comprendre notre présent.
Yves Citton
Université Paris 8
Hyperstition, spéculation et complot : schizoanalyse des imaginaires conspirationnistes
Cette intervention sera l’occasion de présenter le concept d’hyperstition. Conçu à partir d’une contraction des mots « hyper » (intensité excessive) et « superstition » (fétichisme, surnaturel, force occulte), le concept d’hyperstition est utilisé pour penser le pouvoir suggestif et fantasmatique de certaines fictions et autres composés narratifs qui brouillent les frontières entre le vrai et le faux, la théorie et la fiction. Ces composés narratifs dits « hyperstitionnels » disposent également d’une puissance performative en raison de leur capacité à esquisser de manière plausible des modèles explicatifs de certains phénomènes et événements qui résistent toujours plus ou moins à la compréhension individuelle et collective. Nous reviendrons succinctement sur la généalogie d’un tel concept qui provient d’un ensemble de chercheurs et d’étudiants de l’Université de Warwick. Passionnés par la cyberculture et la French Theory, regroupés autour de la Cybernetic Culture Research Unit (CCRU), ces chercheurs ont notamment participé au développement des thèses très controversées de l’accélérationnisme. À cette allure occulte, ésotérique, voire complotiste qui caractérise leurs travaux, s’articule une tentative de compréhension des dynamiques actuelles et futures du technocapitalisme par l’intermédiaire de théories qui puisent abondement dans les imaginaires catastrophistes, surnaturels et occultes. En nous appuyant sur quelques exemples concrets, et en nous servant du vocabulaire emprunté à la schizoanalyse deleuzo-guattarienne (diagramme, flux, territoire, univers de valeurs) ‒ ayant notamment inspiré les travaux du CCRU ‒, nous testerons la pertinence du concept d’hyperstition pour aborder certains traits caractéristiques de la logique spectaculaire de ce qu’on a proposé d’appeler, faute de mieux, l’ère de la post-vérité.
Fabien Richert
UQAM