[publication] Parution du numéro 43 de la revue Intermédialités « Tromper / Deceiving »

Le groupe de recherche ARCANES souligne la parution du 43e numéro de la revue Intermédialités, intitulé « Tromper / Deceiving ». Ce numéro est sous la direction de Renée Bourassa (ARCANES, CRILCQ, Université Laval) et Jean-Marc Larrue (ARCANES, CRILCQ, Université de Montréal).

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Tromper 

L’écosystème socionumérique actuel est marqué par la prolifération des puissances du faux (Eco 2022, Deleuze 1985) qui atténuent considérablement notre capacité à détecter les manifestations de tromperie. Ces phénomènes ne sont pas nouveaux. Des pratiques artistiques, que nous qualifions d’« arts trompeurs », jouent depuis longtemps sur les multiples ressorts de l’illusion, qu’elle soit occultée ou affichée, afin de divertir. Mais il nous semble que la situation actuelle révèle une rupture majeure : le système reposant sur les « régimes d’authenticité » qui fournissait des repères partageables, tout en assurant l’évolution de ce qu’on considérait « vrai », n’est plus opérant. L’efficacité et l’abondance des stratégies de tromperie dans l’espace informationnel vont jusqu’à mettre nos démocraties à risque. Ces régimes d’authenticité prennent place dans une ère dite de « post-vérité » ou encore « post-factuelle », où s’opèrent des transformations des systèmes de vérité, d’autorité et de légitimité à l’œuvre dans les dynamiques de médiations contemporaines. Selon une perspective d’intermédialité, les objets visés par ce numéro sont situés à la fois dans le domaine des « arts trompeurs », ces pratiques artistiques – historiques ou plus récentes – où interviennent des stratégies de tromperie et d’illusion, et dans l’écosystème socionumérique contemporain, où se produisent des phénomènes de désinformation engendrés notamment par la reconfiguration des dynamiques de médiation. Les deux régimes suscitent des imaginaires sociaux (Castoriadis 1975) qu’il s’agit d’examiner en les mettant en relation pour mieux en exposer les rouages. C’est bien la mise en tension entre ces deux sphères, artistique et informationnelle, où se manifestent les mécanismes et les stratagèmes de la tromperie, allant de l’illusion au subterfuge, de la supercherie à la duperie, que ce numéro veut examiner.

Nous voulons donc insister sur le fait que (1) les phénomènes en cause ne sont pas nouveaux – car ils découlent du très ancien art du mensonge, de la (dis)simulation ou de la tromperie dont les manifestations sont multiples, tant dans les fictions artistiques (littérature, arts vivants, cinéma, jeux vidéos)  que dans l’espace social – et (2) qu’ils ont pris des configurations inédites dans l’écosystème socionumérique actuel, alors que les médias ne se remplacent pas les uns les autres, mais se cumulent dans des effets d’interdépendance et d’amplification où les frontières – entre les genres, entre les médias – se brouillent (Nancy 2000, Couldry et Hepp 2016, Elleström 2014). Les phénomènes où se joue l’art de tromper se situent souvent à la lisière du vrai et du faux, du fictionnel et du documentaire, en mettant en cause les régimes d’authenticité par les stratégies du mensonge ou du subterfuge.

Le problème est ainsi devenu particulièrement saillant en raison de la complexification croissante de l’environnement médiatique et de l’hybridation accélérée des pratiques et technologies communicationnelles dans le contexte d’une croissance effrénée et exponentielle de l’information (et du débordement qui en découle), des défis inédits posés à nos capacités attentionnelles (Citton 2014), de la transformation des schèmes d’autorité qui interviennent dans l’espace public actuel et du développement essoufflant de technologies toujours plus raffinées dans l’art de la simulation, notamment celles de l’apprentissage automatique (Machine learning) et de l’intelligence artificielle (Deep Fakes), capables de manipuler les images, les discours et les données afin de tromper nos sens ou nos facultés cognitives (Brundage et als 2018), en démultipliant aussi les puissances du faux.

Ce sont ces questions engageant le domaine des arts trompeurs tout comme celui de la désinformation ou de la propagande dans l’écosystème numérique que ce numéro d’Intermédialités veut examiner. Dans le choix des articles retenus, nous allons privilégier deux perspectives convergentes qui, en d’autres termes, s’appuient l’une sur l’autre : les réflexions sur les enjeux théoriques que soulève, aujourd’hui et autrefois, l’acte de tromper, dans les différentes acceptions du terme, et les études de cas mettant en relief l’un des phénomènes où intervient le « tromper » dans l’écosystème numérique actuel, allant des arts trompeurs (cinéma, arts vivants, littérature, jeux vidéo) jusqu’à la post-vérité (croisement des champs artistiques, de l’information et de la communication).

Texte tiré de l’appel de texte